En Afrique de l’Ouest et au sahel, l’avenir des enfants est très menacé du fait de la qualité de l’alimentation dont ils bénéficient dès le bas âge, qu’ils soient issus de familles riches ou pauvres. C’est en tout cas ce que démontre le rapport mondial 2021 des Nations unies sur la nutrition.
Près d’un tiers des enfants de 0 à 5 ans en Afrique de l’Ouest souffraient d’un retard de croissance en 2020 dû à la malnutrition chronique, renseigne en effet ce rapport.
Il note que sur 20% des ménages des plus pauvres enquêtés dans chaque pays de la région, le Nigéria tient la tête avec 55,4% des enfants qui souffraient de la malnutrition chronique ou du retard de croissance. Ce taux est de 46,5 % au Niger, 41,6 % au Burkina Faso, 41, 2% au Bénin, 37,9% au Libéria et 33,2 % au Togo. La même étude menée près d’une population cette fois ci riche, montre que malgré leur richesse, les enfants ne sont pas aussi épargnés par la malnutrition chronique. A ce niveau, le Niger prends la tête avec 34,7 % des enfants de 0 à 5 ans souffrant de malnutrition chronique, suivi de la Sierra Leone (24,1%), de la Guinée (19,3%), du Burkina Faso et du Bénin (18,6%).
« Il s’agit en effet du pourcentage d’enfants de moins de cinq ans dont la taille pour l’âge, est inférieure de plus de 2 écarts types par rapport à la taille médiane pour l’âge de la population de référence. L’écart le plus important est au Nigeria, où la prévalence du retard de croissance est trois fois plus élevée dans les ménages les plus pauvres », précise un Maps & Facts du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE), une plateforme internationale indépendante qui a pour mandat de promouvoir des politiques régionales à même d’améliorer le bien-être économique et social des populations ouest-africaines.
Ce Maps & Facts, publié sur les comptes sociaux de l’organisation fin octobre 2022, précise de manière préoccupante la gravité des conséquences de cette situation pour la sous-région à l’avenir et appelle à des actions pour éviter le pire.
Pour Jill Bouscarat, une analyste de la transformation des systèmes alimentaires, emploi des jeunes et des femmes au secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) basé à Paris, jointe par l’Agence Anadolu, le Maps & Facts est créé pour « briser le silence sur ce phénomène » qui dure depuis plusieurs années et qui s’est « exacerbé avec la pandémie au Covid-19 ».
« Nous travaillons sur tout ce qui est insécurité alimentaire et nutritionnelle dans la région Afrique de l’ouest et du Sahel. Et nous pouvons dire que les problèmes de malnutrition et le retard de croissance des enfants en Afrique de l’ouest ces deux dernières décennies, n’ont fait que s’aggraver depuis 2020 avec le COVID-19 et l’insécurité croissante qui s’y installe » a-t-elle confié.
Elle a expliqué que l’objectif du CSAO/OCDE est de rendre ces chiffres « disponibles » pour le public et pour les décideurs en vue d’attirer leur attention sur « des aspects d’ordre général et spécifiques, les amener à prendre les bonnes décisions à travers les politiques, programmes et projets de développement conçus et mis en œuvre dans la région ».
– Crise alimentaire et insécurité
D’après Koffi Zougbédé, économiste togolais au secrétariat de la CSAO/OCDE contacté par l’Agence Anadolu, « l’évolution de manière exacerbée de la question de la crise alimentaire dans la région ouest-africaine depuis plusieurs années à cause de la pauvreté ainsi que l’insécurité grandissante devenue structurelle » sont les principales causes de la malnutrition chronique des enfants.
A tout cela, nous pouvons ajouter, poursuit-il, « des facteurs conjoncturels comme les questions climatiques avec l’irrégularité des pluies et les inondations ».
« Ces causes conjoncturelles et structurelles font que l’insécurité alimentaire et celle nutritionnelle des enfants deviennent préoccupantes dans la région Afrique de l’ouest et du Sahel », ajoute Koffi Zougbédé.
L’économiste togolais pense également que les femmes, depuis la conception de leur bébé, n’ajoutent pas de la qualité à la quantité dans leur alimentation.
« Dans la sous-région ouest africaine, il y a des aliments de base comme le riz, le maïs, les pâtes etc…. qui permettent aux populations d’avoir une alimentation énergétique suffisante, mais pas toujours équilibrée du point de vue nutritionnel. Il n’y a souvent pas suffisamment de viande, de lait, de légumes et de fruits pour une alimentation totalement équilibrée. Et quand une femme enceinte ne se nourrit pas bien, le bébé ne se nourrit pas bien non plus », précise-t-il.
– Une malnutrition chronique à plusieurs étapes
Beaucoup d’enfants sont, ainsi, probablement en situation de malnutrition chronique avant même de voir le jour. Passée cette étape, le risque se présente encore à plusieurs autres étapes de leur croissance selon l’expert agro-nutritionniste béninois Fiacre Alladaye.
Il affirme que « si l’enfant n’est pas alimenté exclusivement au lait maternel durant les six premiers mois », il y a de fortes chances que cette forme de malnutrition s’installe dès cette étape de sa croissance.
« Beaucoup d’enfants sont dans ce cas, parce qu’en Afrique de l’Ouest, très souvent, les femmes, sous la pression parfois des grands-parents, des belles mères surtout, cherchent très vite à introduire de l’eau, de la tisane ou autres dans l’alimentation des nouveau-nés. Malheureusement ce sont des choses qui ralentissent la croissance normale des enfants », rappelle cet expert qui œuvre au quotidien aux côtés de l’ONG béninoise Famille Nutrition et Développement.
De six mois à deux ans, poursuit-il, « l’enfant doit vraiment bénéficier d’une alimentation de complément (riches et équilibrés) pour couvrir ce que le lait maternel n’arrive plus à lui apporter comme besoin nutritionnel. Ce qui malheureusement n’est pas souvent le cas dans les pays de la sous-région ouest-africaine. Ce qui fait que cette malnutrition s’installe progressivement ».
« Ce n’est qu’après deux ans que les enfants doivent être soumis aux repas familiaux. Malheureusement encore une fois, l’on constate que les repas ne sont pas élaborés en tenant compte des besoins nutritionnels des enfants. Ils consomment pour la plupart le même repas que celui réservé aux adultes. C’est donc dire que c’est à chaque étape de la croissance de l’enfant que se pose la problématique de la malnutrition chronique que nous appelons encore le retard de croissance. Il arrive même qu’on assiste à des excès. L’alimentation n’étant pas équilibrée, n’étant pas nutritive, il y a des excès et les enfants peuvent prendre du poids avec des conséquences irréversibles sur leur avenir », a expliqué Fiacre Alladaye.
– La relève de demain sacrifiée
Dans ces conditions, c’est la relève de demain qui est sacrifiée, se désole Koffi Zougbédé. Pour qu’on obtienne ce qu’on attend d’eux demain, poursuit-il, c’est bien dès la naissance, qu’il faut bien les prendre en charge avec une alimentation équilibrée, en quantité et en qualité suffisante.
« Le défaut de cette alimentation se répercute automatiquement sur le développement et la croissance de l’enfant », soutient l’économiste togolais en poste au secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest.
« Et un retard de croissance peut provoquer des lésions cérébrales irréversibles chez l’enfant, des maladies chroniques, des malformations ; obérer ses capacités à apprendre, donc à générer des revenus décents ; menacer son avenir social et citoyen. Lorsque le retard de croissance se généralise, il devient aussi une menace pour l’avenir de pays entiers », ajoute sa collègue Jill Bouscarat.
Le Béninois Fiacre Alladaye ajoute qu’un enfant en retard de croissance est un enfant qui n’a pas eu la chance de voir « son cerveau mis en place de façon convenable. Il ne peut donc pas avoir les mêmes capacités de fonctionnement, de réflexion, de réflexes ou même d’invention comme les autres. En conséquence, c’est un enfant qui n’est pas au complet. Il a des capacités limitées et son avenir est mis en danger ».
– Une menace pour l’avenir de la sous-région
L’expert agro-nutritionniste béninois affirme qu’en laissant cette situation de la malnutrition chronique des enfants perdurer, la sous-région ouest-africaine compromet dangereusement les chances de son développement futur.
« On ne peut pas construire un pays, on ne peut pas construire une région avec des hommes et femmes qui n’ont pas leur plein potentiel. On ne peut pas prétendre au développement si aujourd’hui on ne règle pas le problème de malnutrition chronique dans la sous-région ouest africaine », a affirmé Alladaye au micro de l’Agence Anadolu.
« Il faut donc régler ces problèmes de nutritions et s’assurer que la sous-région ait du potentiel disponible pour son développement. Un capital humain efficace, capable de réfléchir, d’innover voire même de se prendre en charge face aux défis de notre siècle. Lorsque ce capital humain est incapable de se prendre en charge, de faire des efforts, de réfléchir, de se construire, de construire, d’innover et d’aller de l’avant, c’est l’avenir de tout le continent africain qui est en jeu. Il y a de quoi s’alarmer et appeler au réveil », ajoute-t-il
– Renverser la tendance
Pour « renverser la tendance », il appelle à un changement dans les mentalités et dans les actions. Aux gouvernants et partenaires des différents pays ouest africains, il propose de « revoir les différents projets et programmes qui sont mis en œuvre » et sensibiliser massivement les familles, qui s’opposent par exemple à l’alimentation exclusive des enfants au lait maternel jusqu’à six mois, à y adhérer.
« Le niveau d’instruction des femmes qui ont en charge la nutrition des enfants est l’un des handicaps. Ce niveau étant faible généralement, elles ne perçoivent pas vraiment les dangers de la malnutrition chronique quand on le leur explique. Il faudra donc trouver une solution en poussant plus loin l’éducation des femmes à ce sujet », conseille Alladaye.
Pour parer au manque de moyens, il appelle enfin les familles à instituer dans un coins de leur domicile « un jardin de case pour cultiver des légumes dont on a besoin », à instituer le petit élevage et avoir pour les enfants les protéines animales (œufs volailles et autres) ».
Jill Bouscarat prône « un accès adéquat aux soins de santé, une éducation nutritionnelle suffisante depuis les premières consultations prénatales et une alimentation de bonne qualité ». Elle appelle aussi à des mesures plus appropriées qui facilitent « l’abordabilité des prix des aliments » nutritifs sur les marchés.
« Les aliments nutritifs sont hors de portée financière d’une grande majorité des ménages pauvres de la région, et il existe de grandes variations en termes d’abordabilité entre et au sein des pays » a-t-elle rappelé.
Agence Anadolu