3 janvier 66 : l’autre visage méconnu de Maurice YAMEOGO

L’opinion publique burkinabè se souvient de lui généralement lors de deux commémorations : la proclamation de l’Indépendance le 05 août et le 11 décembre, et sa chute le 3 janvier. Son nom, lui, n’est attaché qu’à une rue de Ouagadougou et un lycée de Koudougou. Enfin, dans son Koudougou natal, une statue de lui trône au cœur de la ville. Maurice YAMEOGO, premier Président de la Haute-Volta, père des Indépendances, a toujours été présenté sous l’angle d’un Président balayé par la rue pour mauvaise gestion, et celui qui a simplement proclamé « solennellement l’indépendance de la République de Haute-Volta ».

Et pourtant, « Monsieur Maurice », comme le surnommaient ses amis, a un autre visage. Méconnu et, parfois, intentionnellement oublié. A l’occasion de l’anniversaire du soulèvement populaire de 1966, ACTUALITE.BF est allé (re)découvrir cet autre pan moins médiatisé du père des Indépendances, avec son fils, le Bishop Claver YAMEOGO.

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Le 3 janvier 1966, plus de 100.000 manifestants ont envahi les artères de Ouagadougou, pour protester contre des mesures d’austérité prises par le régime de Maurice YAMEOGO. C’était à l’appel des centrales syndicales. Derrière la colère se cachait un désaveu de la corruption et des scandales divers qui étaient reprochés au premier régime de la Haute-Volta indépendante. La foule, qui réclamait au départ le relèvement des mesures populaires, exigera si tôt la démission de Maurice YAMOEGO et l’accession au pouvoir de l’Armée.

Le premier Président signe alors sa démission, et remet le pouvoir à son Chef d’Etat-major des Armées, le Lieutenant-colonel Sangoulé LAMIZANA.

Dans l’émission d’Alain FOKA « Archives d’Afrique » diffusée sur RFI en septembre 2010 et consacrée à Maurice YAMEOGO, l’ex-Président Sangoulé LAMIZANA affirme n’avoir jamais reçu l’ordre de Maurice YAMEOGO de tirer de tirer sur la foule. Le Président YAMEOGO  aurait, selon ce qu’il a confié à l’historien Ibrahima Baba KAKE, démissionné afin d’empêcher une effusion de sang.

Dans son discours prononcé à la suite de sa démission, Maurice YAMEOGO précisait d’ailleurs : « Contrairement à ce que l’on peut croire, je suis le premier réjoui – et mes ministres après moi – de la manière la plus pacifique dont les choses se sont résolues ».

Maurice YAMEOGO, 3ème à partir de la gauche, lors d’une rencontre des Présidents du Conseil de l’Entente avec le Président français Charles DE GAULLE

Maurice YAMEOGO s’est fixé à Koudougou juste après les événements du 3 janvier. Face aux velléités de ses fidèles de venir en découdre avec les syndicats à Ouagadougou, témoigne LAMIZANA à l’historien Baba KAKE, l’ex-Président est ramené à Ouagadougou pour y être mis en résidence surveillée.

Mais Claver YAMEOGO met plutôt l’accent sur le fait que son défunt père a tout mis en œuvre pour calmer ses partisans et éviter ainsi des affrontements sanglants.

De retour à Ouagadougou, Maurice YAMEOGO passera un long moment en résidence surveillée, avant d’être jugé à huis-clos pour sa gestion, le 8 mai 1969. Il est condamné à cinq ans de travaux forcés, au bannissement à vie et à la déchéance de ses droits civiques. « Il n’avait même plus droit à une Carte d’identité voltaïque », confie Claver YAMEOGO. L’ex-Président YAMEOGO a bénéficié par la suite d’une remise de peine du président LAMIZANA et, le 5 août 1970, il a été libéré.

Détenu sans jugement, Maurice YAMEOGO tentera par deux fois de mettre fin à ses jours. Son fils Claver revient sur ces événements avec émotion : « on l’a empêché de s’expliquer. Il ne supportait pas de voir sa dignité bafouée. Et, en tant que Mossi, il se disait que la mort est préférable à la honte ».

Pendant longtemps, malgré la succession des régimes, les ennuis de Maurice YAMEOGO n’ont pas cessé. Pour Claver YAMEOGO, l’ex-Président était vu par la plupart de ses successeurs comme un redoutable adversaire qu’il fallait anéantir.

Et, l’anéantissement, c’est aussi le fait de mettre l’accent sur le côté sombre de l’homme des Indépendances.

Or, observe le Bishop, il y a un Maurice YAMEOGO Homme d’Etat et patriote à connaître par les nouvelles générations.

Venue trouver la capitale, Ouagadougou, en banco, l’Administration YAMEOGO s’est évertuée à la reconstruire. Dans les mémoires manuscrites de l’ancien Président, révèle Claver YAMEOGO, il confie avoir obtenu un milliard et demi de francs en prêt auprès du Ghana pour construire la capitale. Un prêt dont Kwamé NKRUMAH refusera le remboursement. C’était dans un contexte où, nous souffle Claver YAMEOGO, la France avait fait bloquer les ristournes que la Haute-Volta devait percevoir du Port d’Abidjan.

Selon Claver YAMEOGO, Maurice YAMEOGO fut un panafricaniste avant l’heure. Il est l’un des géniteurs du Conseil de l’Entente.

Mieux, en 1961, Maurice YAMEOGO a demandé le départ de l’Armée Française de la Haute-Volta. La sécurité nationale a été confiée par la jeune armée conduite par Sangoulé LAMIZANA. Une décision qui a bien irrité l’ancienne métropole.

Sous Maurice YAMEOGO, la Haute-Volta a été le premier pays du Conseil de l’Entente à avoir une radiodiffusion et une télévision, des instruments de souveraineté.

La diplomatie voltaïque était agissante. M. YAMEOGO fut le premier Président africain à être reçu par la Maison Blanche le 31 mars 1965. C’était sous la Présidence de Lyndon Baines JOHNSON.

Le Révérend Claver YAMEOGO insiste sur l’esprit républicain du premier chef d’Etat voltaïque. « Alors qu’à l’époque, la tendance en Afrique était la création de rébellions pour résoudre les différends politiques, Maurice YAMEOGO est resté dans la ligne républicaine en créant l’UNDD après sa chute », se félicite le Bishop. Déchu de ses droits civiques et ne pouvant pas se présenter, Maurice YAMEOGO a désigné le banquier Macaire OUEDRAOGO comme candidat de son parti, l’UNDD, à la Présidentielle de 1978. Celui-ci met en ballotage le Président candidat à sa propre succession, Sangoulé LAMIZANA. « Ce n’est pas Macaire OUEDRAOGO qui a mis en ballotage LAMIZANA, c’est Maurice YAMEOGO qui a mis en ballotage LAMIZANA à travers Macaire OUEDRAOGO », fait observer Claver YAMEOGO.

Révérend Pasteur Claver YAMEOGO, fils de Maurice YAMEOGO

Le Révérend Claver YAMEOGO présente son défunt père comme « quelqu’un de calme, qui écoute plus qu’il parle, qui aime son prochain, et qui pardonne ». La résidence de l’ancien Président à Koudougou a d’ailleurs été baptisée « Villa Pax » en 1970, année de sa libération de prison, en référence à son attachement à la paix et au pardon.

En 1987, Maurice YAMEOGO s’installe en Côte d’Ivoire. Blaise COMPAORE  a réhabilité l’ancien Président en 1991. Deux ans après, gravement malade et souhaitant mourir dans son pays, Maurice YAMEOGO rend l’âme dans l’avion qui le ramène au bercail.

Le Burkina Faso rend-il suffisamment hommage à cet homme d’Etat qui a eu ses hauts et ses bas ? « Non, pas du tout ! », répond Claver YAMEOGO.

Pour lui, il n’est pas normal que des présidents étrangers portent des noms de boulevards et d’avenues, pendant que la mémoire du père des Indépendances est simplement flanquée à une ruelle.

Pour Claver YAMEOGO, beaucoup doit être fait pour l’homme qui a donné une partie de sa vie pour les indépendances et pour les premiers pas de la Haute-Volta. « Pourquoi pas baptiser l’Aéroport de Donsin au nom de Maurice YAMEOGO ? », suggère-t-il.

Plus généralement, Claver YAMEOGO s’offusque du fait qu’au Burkina, on ne rend pas suffisamment hommage aux hommes et aux femmes qui se sacrifient pour la Nation : « Nous sommes un peuple un peu particulier, qui ne retient que très peu des hommes qui fondé les socles de sa construction. De Maurice à Roch, nous nous illustrons par un déni des qualités des hommes qui ont donné de leurs vies pour la nation. Personne ne regarde du côté de leur bonne foi et des efforts de titans qu’ils expriment chaque jour de leurs vies. Maintenant, s’il y a des imperfections dans leur action à la tête du pays, une justice équitable et juste doit se charger de dire la vérité et de choisir la sentence appropriée. » Mais, affirme le bishop YAMEOGO, « cela n’enlèvera pas notre devoir de mémoire vis-à-vis de ce qu’ils ont pu être. »

Charles ILBOUDO