Insécurité dans la Kompienga : pour aller à Fada, les habitants passent par le Togo et se font racketer

Jamais, Cinkansé n’a donné autant de recettes à ceux qui gèrent la traversée de la frontière Burkina-Togo, qu’en ces temps de fermeture officielle de ladite frontière pour raison de Covid-19, et dans ce contexte d’insécurité qui enclave la province burkinabè de la Kompienga. Agents de l’Administration, auxiliaires officiels et travailleurs du secteur informel, chacun, à son niveau, marchande la violation de l’arrêté togolais de fermeture de la frontière au passage des personnes. Et des habitants de la Kompienga, qui souhaitent se rendre à Fada ou à Ouaga, sont obligés de passer par le Togo, à cause du péril sur l’axe Pama-Fada. La croix et la bannière!

La frontière Burkina-Togo avait été fermée par les autorités des deux pays aux premiers jours de la pandémie de la maladie à Coronavirus. Quelques mois plus tard, le Burkina levait sa barrière, tandis que la partie togolaise consolidait la sienne. Seul est autorisé le passage du fret terrestre. Veillent au grain, les éléments de la police de l’immigration du Togo, campés côté Sud du pont sur la rivière constituant la frontière naturelle entre Cinkansé/Burkina et Cinkansé/Togo. Ne peuvent passer que les véhicules transportant des marchandises ou les véhicules de tourisme, ainsi que les voitures d’occasion ou « France au revoir », qui quittent le port de Lomé pour venir garnir les stands de vente de véhicules d’occasion à Ouaga, Bamako, Niamey, N’Djamena et même au-delà, via des canaux frauduleux vers des pays qui interdisent ce genre de marchandises tels que le Nigeria, le Cameroun et la Côte d’Ivoire.

Annonces

De fait, sur l’aire de stationnement du complexe des services de police et des douanes juxtaposés de l’Uemoa, érigé côté Burkina au Nord du pont-frontière, on ne voit aucun car de transport de voyageurs. Rien que des camions et des véhicules « France au revoir ». La traversée de la frontière est cependant devenue un business gagnant. Autant pour les agents officiels que pour le secteur informel.

Le Togo étant le pays qui a déclaré sa frontière fermée aux personnes, c’est de son côté que les deals font recettes. Certes, comme il y a toujours une exception à toute règle, une brèche est reconnue aux porteurs d’un « laisser-passer » délivré par le ministère togolais de la sécurité et de la protection civile. Un sésame qui fait dérogation aux agents de certaines structures et services du Burkina pour leur traversée, pour qu’ils se rendent au Togo ou dans la province de la Kompienga au Burkina, en évitant l’axe direct Fada-Pama réputée périlleuse du fait terrorisme. Par instinct de survie, les populations de la province de la Kompienga s’imposent un détour sécuritaire qui les livre au racket et fait le bonheur des passeurs.

Franchir la frontière par la voie régulière en passant par les postes de contrôle juxtaposés de police et des douanes de l’Uemoa, relève encore du possible, moyennant des largesses. Aller au-delà, une fois sur le territoire togolais, l’est moins. Sans « laisser-passer », aucun véhicule et ses passagers ne passent la barrière de la police de l’immigration, quelques 100 mètres après le pont. Bien des missions de Burkinabè se rendant au Togo, ont été contraintes de rebrousser chemin, faute du précieux sésame : le « laisser passer ». Les services burkinabè de la province de Kompienga, contraints au détour par le Togo, doivent se soumettre à la formalité administrative du « laisser-passer » qui ouvre les portes d’accès au territoire togolais. Le document en question précise le nom des personnes et l’immatriculation des véhicules autorisés, outre cette mention : «Le ministre de la sécurité et de la protection civile demande aux postes des forces de défense et de sécurité de bien vouloir laisser passer les personnels du (nom du service) dont les noms figurent sur la liste jointe (la liste des personnes concernées et l’immatriculation des véhicules est annexé au « laisser-passer » et légalisée par le cachet du ministère togolais de sécurité et de la protection civile), en vue de leur permettre de se rendre régulièrement dans la province de Kompienga en faisant un détour en territoire togolais, trajet Cinkansé – Dapaong – Pognoa, compte tenu du contexte sécuritaire au Burkina Faso. Le présent laisser-passer est délivré pour toutes fins utiles ».

Mais, il n’y a pas que les personnels de l’Administration ou des ONG qui font ce détour sécuritaire pour passer de la Kompienga à une autre localité du Burkina. La traversée de la frontière concerne aussi les commerçants qui, de tout temps, vont faire leurs emplettes au Togo, notamment à Lomé.

La traversée concerne plus largement les populations de la Kompienga qui, pour une raison ou une autre, ont obligation d’aller à Fada, chef-lieu de la Région de l‘Est, ou à Ouaga, la capitale. Ainsi, bien que le trajet Pama-Fada ne soit long que de 100 Km, en passant par la RN 18, il faut se farcir le triple du trajet par la traversée des villes togolaises de Pognoa, Dapaong et Cinkansé. Un vrai supplice, raconte un habitant de Pama : « C’est une situation très périlleuse, hein ! Ce n’est pas simple, c’est infernal. Tu laisses 100 km à côté, tout droit, pour faire un contour de 370 km avec différentes péripéties sur la voie. On est lésé; il n’y a plus de textes; il n’y a plus de loi; tu es abandonné à toi-même; il te faut beaucoup d’argent, parce que tu dois passer de nombreux postes de contrôle, sans passer par la frontière légale de l’Uemoa. Tu es obligé de passer par des bas-fonds, des trous, tous les contours possibles. Ce n’est pas facile. Tu quittes Pama autour de 6 heures, et si tu as de la chance, tu arrives à Fada autour de 16 heures 30. Tu as au moins 10 heures de route pour un trajet d’une heure 30 en temps normal par la RN 18, route Pama-Fada. »

Hormis ce qu’il faut payer au taxi-moto pour passer de Cinkansé/Togo à Cinkansé/Burkina, notre interlocuteur dit ne pas subir de racket du côté du Burkina. « En revanche, sur le territoire togolais, nous sommes à l’étranger et il faut monnayer son passage parce qu’il y a plusieurs postes mobiles de contrôle. Il y a l’histoire du Coronavirus, il y a la frontière qui est fermée. Autant de mobiles pour te faire payer. On ne te demande pas directement de l’argent. Mais, on te rappelle que les frontières sont fermées, et que personne ne doit passer. Donc, qu’il faut donner un café chaud. Et, le café chaud, ce n’est pas 100 Francs ou 200 Francs ; c’est 2.000 Francs, voire 5.000 Francs CFA. Et il y a 5 à 6 barrières, de Pognoa à Cinkansé en passant par Dapaong. Ce n’est pas simple. On déplore beaucoup la situation. Depuis que la région de l’Est est en proie aux attaques terroristes, nous sommes laissés à nous-mêmes dans la Kompienga.»

Herbert NABA, correspondant de ACTUALITE.BF dans la Région de l’Est