Ceci est une déclaration du Syndicat des Magistrats Burkinabè relativement à l’avant-projet de révision de la Constitution du Burkina Faso (En complément des observations faites dans le cadre de l’intersyndicale des magistrats).
Avant-propos
Monsieur le Président de la Commission des Affaires Générales, Institutionnelles et des
Droits Humains (CAGIDH), Honorables députés de l’Assemblée législative de Transition (ALT) ;
C’est avec une grande satisfaction que le Syndicat des Magistrats Burkinabè (SMB) a
reçu votre invitation le 19 décembre 2023, tout comme les autres syndicats de magistrats, à
l’effet de se présenter le 23 décembre de la même année, pour présenter ses observations et propositions d’amendements relatives au projet de loi portant révision de la Constitution, avec la précision qu’il nous « plaira de prendre des dispositions pour transmettre à la Commission, avant, pendant ou après la séance de travail, toute documentation et/ou contributions écrites portant sur le sujet ».
Monsieur le Président de la CAGIDH, chers honorables,
C’est avec stupéfaction que dans l’après-midi du mercredi 06 décembre 2023, les magistrats
découvraient dans le compte-rendu du Conseil des Ministres que ledit Conseil a adopté, au titre de la Présidence du Faso, un projet de loi portant révision de la Constitution. Au nombre des innovations de ce projet de loi, ce Compte-rendu précisait, entre autres :
- « (…) Le réaménagement du régime de la responsabilité pénale des dirigeants
politiques qui entraine nécessairement la suppression de la Haute Cour de Justice
dont les compétences seront données à la Chambre criminelle de la Cour d’appel de
Ouagadougou, assistée par des jurés parlementaires ; - L’arrivée des personnes non magistrats dans la composition du Conseil Supérieur de
la Magistrature (CSM) ; - La connexion entre le Parquet et le ministère en charge de la justice dans le cadre de
la vision de la politique pénale du Chef de l’Etat (…) ».
Pendant que les magistrats s’interrogeaient sur la brutalité de cette annonce (le 1er décembre 2023 plus tôt, le Premier Ministre annonçait devant l’ALT l’adoption d’une nouvelle
Constitution dans son discours sur l’état de la Nation !), sur la pertinence et l’opportunité de
telles mesures novatrices, ils découvraient sur les réseaux sociaux, le 14 décembre 2023, un
document intitulé « Avant-projet de loi constitutionnelle-final-SG » qui propose effectivement des dispositions tant modificatives portant sur les articles 35, 124, 130, 132, 133, 134, 137, 141, 152, 154 et 160 qu’abrogatives concernant les articles 76, 138, 140, les Titre X et XIV bis.
Pendant qu’ils y croiraient toujours à un mirage, les Syndicats des magistrats recevaient
le 19 décembre 2023 votre invitation, annexée du document de la séance du travail, lequel
document n’étant rien d’autre que l’avant-projet de loi portant révision de la Constitution qui
circulait quelques jours plus tôt sur les réseaux sociaux. C’est à cet instant qu’ils se sont laissés
convaincre qu’un projet de révision constitutionnelle n’était plus au stade du questionnement sur « le juridiquement possible ou impossible » mais à l’étape « du politiquement déjà fait ou faisable » !
S’agissant des réformes touchant particulièrement à la justice, si peu d’arguments ont filé officiellement du côté de l’exécutif qui est à l’initiative du projet de révision, plusieurs développements sont argués çà et là officieusement en ces termes :
« les magistrats empêchent la Transition d’avancer… » ;
« les magistrats sont imbus de leur pouvoir » ;
« le peuple est déçu de la justice » ;
« le Pacte national pour le renouveau de la Justice de 2015 a donné trop de liberté aux magistrats » ;
« les magistrats ont de gros salaires mais ne travaillent pas pour les mériter »
« les magistrats sont trop en liberté » ;
« les magistrats ont pris en otage la République » ;
« les Syndicats des magistrats ont pris en otage le CSM » ;
etc.
A l’occasion de la rencontre statutaire entre le CSM et le Chef de l’Etat, tenue le 21 décembre 2023, ce dernier a été interpellé sur les enjeux de telles réformes annoncées, précisément, sur le fait qu’elles constitueront une atteinte à l’indépendance de la justice. En réaction, celui-ci a répliqué qu’elles ne porteront pas atteinte « fondamentalement à
l’indépendance de la justice ».
Cette réponse du Chef de l’Etat, Garant constitutionnel de l’indépendance du pouvoir
judiciaire, ne pouvait en être autrement quand on sait qu’à la veille (20 décembre 2023), son
Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, déclarait sur les ondes de la télévision nationale en substance que les dispositions constitutionnelles sur l’indépendance du pouvoir judiciaire (article 129 par exemple) ne sont pas concernées par les réformes ; que les magistrats du siège ne seront pas connectés à l’exécutif ; que c’est plutôt les magistrats du parquet qui seront connectés au Ministre de la justice dans la perspective de la mise en œuvre de la politique pénale et ce, pour « plus d’harmonie et plus d’efficacité » ; que du reste, « autour de nous, même dans les pays qui se disent démocratiquement avancés, les pays que nous prenons pour exemple (…) vous ne verrez nulle part où le parquet n’a pas de lien avec l’exécutif, vous n’en trouverez pas (…) » ; que d’ailleurs, « l’indépendance du pouvoir judiciaire, ce n’est pas un privilège pour le juge d’une part, et d’autre part, l’indépendance du juge se passe dans la tête, ce n’est pas dans les textes (…) ». S’agissant de l’intégration des non magistrats dans la composition du CSM, le Garde des Sceaux excipe que cette ‘’innovation’’ répond à une vielle revendication inscrite dans le Pacte pour le renouveau de la justice adopté le 28 mars 2015 (article 4 du Pacte cité en exemple) à l’issu des états généraux sur la justice et ce, pour éviter du « corporatisme ».
Ces motifs avancés sont largement repris dans les termes de référence (TdR) annexés à votre
invitation.
Ainsi, l’analyse combinée du compte-rendu du Conseil des Ministres du 06 décembre 2023, en ses aspects concernant les raisons des réformes de la justice, de la réponse du Chef de
l’Etat sur la question lors de la rencontre statutaire du 21 décembre 2023 et le contenu de l’interview télévisée du Ministre en charge de la justice du 20 décembre de la même année permet de se convaincre que les réformes constitutionnelles envisagées, relativement au secteur de la justice sont sous-tendues par quatre (04) motifs essentiels :
1) La vision de la politique pénale du Chef de l’Etat ;
2) « L’harmonie et l’efficacité » entre le parquet et le Ministre en charge de la justice
dans la mise en œuvre de la politique pénale ;
3) La fin du corporatisme au sein du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) ;
4) L’indépendance du pouvoir judiciaire n’est nullement entachée par les réformes
envisagées.
A la lumière des motifs « officiellement avancés » comme justificatifs des réformes de
la justice, le Syndicat des Magistrats Burkinabè (SMB) en formulera ses observations critiques,
assorties des propositions, tant en la forme (I) qu’au fond (II). Ces observations viennent en
complément de ce qu’il a déjà fait dans le cadre de l’intersyndicale des magistrats.
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