[Chronique IA] IA et Géopolitique : à l’orée du cyberimpérialisme et de la cybercolonisation

Les relations diplomatiques dans ce monde du 21ème siècle sont marquées par des rapports de puissances, d’idéologies et de technologies. Ainsi,  toutes les nations font recours à tous les moyens possibles pour s’imposer. l’Intelligence Artificielle (IA) est l’un des moyens incontestables.

L’IA est un terme plus générique, un imaginaire collectif sur lequel nous projetons nos espoirs et nos peurs. Les technologies de l’IA comprennent, entre autres, le machine learning, la vision par ordinateur, la robotique intelligente, la biométrie, l’intelligence d’essaimage, les agents virtuels, la génération de langage naturel, et la technologie sémantique. 

Ces technologies ne sont bien sûr pas exclusives les unes des autres.

 Peut-on, d’ores et déjà, analyser la montée en puissance de ce que l’on pourrait appeler les « empires numériques » ? Ces derniers sont le fruit d’une association entre des multinationales, plus ou moins soutenues ou contrôlées par des États qui ont financé le développement des bases techno-scientifiques sur lesquelles ces entreprises ont pu innover et prospérer.

Contrairement à l’idée commune selon laquelle la révolution numérique enclenche nécessairement une décentralisation économique, il est en réalité possible que l’IA provoque ou renforce un mouvement global de centralisation du pouvoir dans les mains d’une poignée d’acteurs. Ces empires numériques bénéficieraient d’économies d’échelle, et d’une accélération de leur concentration de puissance dans les domaines économique, militaire et politique grâce à l’IA. 

 Ils deviendraient des pôles majeurs régissant l’ensemble des affaires internationales, avec un retour à une « logique de blocs ». Les frontières de ces nouveaux empires numériques pourraient s’étendre  à une échelle continentale, avec notamment des empires américain et chinois, et des stratégies de non-alignement qui seraient le fait d’autres acteurs comme l’Europe.  

Le développement del’IA répond aux dynamiques des économies d’échelle et de gamme, ainsi qu’aux effets de réseaux directs et indirects : les méga plates-formes numériques sont en capacité de recueillir et de structurer davantage de données sur les consommateurs, et d’attirer et de financer les rares talents pouvant maîtriser les fonctions les plus avancées de l’IA . 

Ces plateformes peuvent aussi donner à ces talents l’accès à des capacités de calcul et à des bases d’utilisateurs de taille suffisante pour développer encore plus les capacités de leur IA.

En effet, « celui qui deviendra leader en ce domaine sera le maître du monde », déclarait Vladimir Poutine à propos de l’Intelligence artificielle en septembre 2017 devant un parterre d’écoliers russes et de journalistes. Trois jours plus tard, Elon Musk, fondateur de Space X et Tesla disait : « La lutte entre nations pour la supériorité en matière d’IA causera probablement la troisième guerre mondiale ».

Les progrès très rapides de l’IA en font un outil puissant sur les plans économique, politique et militaire. Imbriquée dans la révolution numérique, l’IA contribuera à déterminer l’ordre international des décennies à venir, accentuant et accélérant les dynamiques d’un cycle ancien où technologie et pouvoir se renforcent mutuellement. 

Elle transformera certains axiomes de la géopolitique au travers de nouvelles relations entre territoires, dimensions spatio-temporelles et immatérialité.

Les empires digitaux américain et chinois domineront probablement la géopolitique internationale dans les années à venir. Si l’Europe veut reconstruire sa souveraineté numérique, elle devra redoubler d’efforts et d’investissements.   

L’Afrique, quant à elle, s’annonce déjà comme un grand terrain d’affrontement, clairement menacé de « cyber-colonisation ».

L’actuelle révolution numérique va bouleverser nos conditions de vie autant que les rapports de force internationaux.  

L’intelligence artificielle va-t-elle créer une corne d’abondance dans laquelle chacun pourra se servir ? Ou au contraire intensifier les inégalités à un stade inconnu pour l’humanité, opposant une poignée de nantis richissimes aux multitudes privées d’emploi et démunies ? Va-t-elle garantir l’autonomie à chacun ou réaliser le cauchemar de 1984, une société totalitaire où la vie privée n’existe plus ? 

Les géants du digital d’à peine vingt ans d’existence sont devenus de véritables superpuissances. L’IA est la nouvelle frontière du duel entre la Chine et les Etats-Unis.

Les acteurs nationaux sont de plus en plus conscients des enjeux stratégiques, économiques, et militaires du développement de l’IA. Ils anticipent également son impact sur les élections, comme l’ont montré les interférences dans le scrutin présidentiel aux États-Unis en 2016, et dans le référendum sur le Brexit.