Un néopatriotisme est en vogue depuis un certain temps au pays des hommes intègres. Pour prétendre avoir le titre de « superpatriote », si vous êtes intellectuel, démocrate ou d’un certain âge, inutile de forcer : vous êtes apatride, donc disqualifié. Mais chose curieuse, il se trouve des intellectuels pour diaboliser les autres intellectuels et toute l’élite, pour rejeter toutes les fautes sur une démocratie dite occidentale, et pour encourager le balayage générationnel. Où tout ceci nous mènera-t-il ? Nulle part, pour sûr.
La démocratie, nous n’y étions pas. Nous vivions un simulacre de démocratie au Burkina. Un système de prédation et de népotisme ne saurait s’appeler démocratie. Donc, ce n’est pas la démocratie, notre problème. Notre problème, ce sont les hommes. De la base qui réclame du thé et des billets de misère pour prostituer leurs suffrages, aux gourous politiques qui vivent de malversation, de postes et d’intrigues.
Si le système a échoué, c’est par la faute d’une population qui a suffisamment mis les intérêts individuels et claniques en avant, au détriment du bien-être collectif. Et, c’est à force de corriger les erreurs et imperfections, qu’on donne à la démocratie tout son sens. Des pays ouest-africains comme le Ghana, le Sénégal, le Bénin et le Cap-Vert, malgré leurs insuffisances, ont d’assez bons témoignages de la démocratie à donner. La démocratie, celle que nous ciblons, est-elle occidentale ? Si oui, tropicalisons-là.
Quant aux intellectuels pourfendeurs de la démocratie et de l’Etat de droit, que proposent-ils comme alternative ? La tyrannie ? La dictature ? L’anarchie ? Tous ces systèmes finissent par dévorer, tels des monstres, les individus égoïstes qui les ont élevés. Les intellectuels qui ont défendu et théorisé le nazisme, le fascisme et les dictatures diverses, ont vu leurs propres pièges les engloutir.
L’histoire du Burkina est riche en enseignement. Norbert Zongo, Dabo Boukary, les martyrs de l’Insurrection et du putsch manqué de 2015, pour ne citer que ceux-là, de même que des centaines de blessés, de torturés et de portés disparus, se sont sacrifiés pour la démocratie et l’Etat de droit. Que des intellectuels en viennent à multiplier leurs sacrifices par zéro, pour proposer des systèmes hybrides et totalitaristes qui risquent de nous plonger davantage dans le chaos, c’est une injure.
Quant à la guérilla contre les intellectuels, elle est la résultante de complexes et de frustrations mal digérées. Dans quels pays le fait d’être analphabète ou ignorant est-il une qualité ? Les intellectuels ayant échoué, comme le prétendent certains, demain, on essaie le règne des idiots? Quelle puissance sur cette terre s’est-elle bâtie en faisant le culte de la médiocrité, et en chassant de l’intellectuel ?
Un Etat forme son intelligentsia en fonction de ses ambitions futuristes et de sa prospective. C’est ainsi que l’Inde a misé sur l’informatique et l’industrie pharmaceutique, le Japon et la Corée du Sud sur l’automobile et l’électronique, la Chine sur les industries manufacturières, et la Russie sur le génie militaire.
Si le Burkina Faso décide, par exemple, de devenir le grenier de l’Afrique, il pourra miser sur la formation d’agronomes, d’ingénieurs d’industries alimentaires, de pédologues, de topographes, …Il s’agit donc de réorienter ses priorités en fonction de ses ambitions, et non de promouvoir la haine contre une élite qui n’est que le produit de la volonté et de la politique de l’Etat.
Enfin, concernant cette campagne de dénigrement contre les anciens dans l’Armée, dans la chefferie coutumière, dans la politique et dans l’Administration, elle est simplement un signe d’errance d’une société en perdition. Aucun peuple n’a pu sortir d’une crise aussi délicate que la nôtre, en se défaisant des anciens. Même dans la tradition purement africaine, les anciens sont réputés avoir la sagesse, l’expérience, la tempérance, et la bénédiction, pour encadrer et orienter la jeunesse. C’est pourquoi, l’âge est sacré en Afrique. Il en est de même, d’ailleurs, pour toutes les religions. Le vieux était jeune, et le jeune est appelé à être vieux.
Il est donc temps pour la société burkinabè en ébullition de se ressaisir, et d’arrêter net cette automutilation. Le Burkina Faso vaincra le terrorisme et les autres crises dans l’unité. Il n’y a pas d’autres alternatives. Le miracle ne se trouve nulle part ailleurs, que dans cette unité. Toute autre démarche n’est qu’impasse et perte de temps.
La Rédaction