A Béguédo samedi dernier, des radicaux s’en sont pris à près d’une dizaine de bars. Ils ont saccagé ces lieux qui, selon eux, contreviennent à la volonté de Dieu. Le lendemain dimanche, dans le Yatenga, des hommes armés ont donné un ultimatum aux fidèles d’une église de quitter les lieux. A cette intolérance religieuse s’ajoute un ethnicisme latent et un repli identitaire pernicieux. Ajoutons-y les réactifs de la chefferie coutumière et du foncier, et nous avons une bombe prête à faire éclater la république en mille morceaux. L’heure est plus que jamais à l’action, face à ce qu’on a négligé sous le vocable de « tabous » et de « sujets sensibles ».
Dans ce Burkina qui tangue, des gens disent malgré tout que le pays va à merveille, qu’il n’y a pas de problèmes de réconciliation, de problèmes entre les religions ou entre les ethnies. Ils se complaisent dans l’hypocrisie. Et pourtant ! Chaque jour apporte son lot d’événements qui démontrent que notre vivre-ensemble est mal en point. Allons-nous continuer de dire qu’il s’agit de sujets sensibles et qu’il ne faut pas en parler ? Si nous optons pour cela, nous choisissons le chaos pour notre cher pays.
A Béguédo, il y a eu, certes des arrestations. Un acte ponctuel qui, bien qu’à féliciter, ne résout pas le fond du problème. Il faut que les responsables religieux et coutumiers, sous le leadership de leur tout nouveau ministre, mettent en place un cadre de concertation qui proposera au gouvernement un avant-projet de loi sur l’exercice du culte au Burkina. Et qu’ils se mettent tous d’accord pour respecter les dispositions de la future loi. Le Burkina est un pays laïc, et les différentes croyances religieuses doivent pouvoir coexister en paix, comme elles l’ont fait jusqu’à récemment. En la matière, l’Union Fraternelle des Croyants de Dori est une bonne illustration.
Par-delà cette question de législation, il convient d’opérer des réformes visant à prendre en compte les sentiments d’injustices et de discrimination qui habitent certaines communautés. Il ne faut pas les négliger, car les injustices nourrissent les frustrations et les confrontations.
A côté de la question religieuse, il y a celle de la stigmatisation des ethnies et du repli identitaire. Le Burkina Faso était, jusqu’à un passé proche, un bel exemple de coexistence entre les ethnies. L’organisation sociale et la parenté à plaisanterie y sont pour beaucoup.
Cependant, les crises sécuritaires et communautaires ont nourri et exacerbé les tensions entre des ethnies qui vivaient naguère en paix. Refuser de reconnaître ce fait, c’est fermer les yeux sur la faillite de l’Etat-nation. Là encore, il faut crever l’abcès, à travers des échanges francs entre les leaders des différentes ethnies, et engager des réformes profondes pour permettre une meilleure répartition des richesses nationales, et une implication de toutes les sensibilités à la gestion des affaires de l’Etat.
La chefferie coutumière, garante de stabilité, est devenue source d’instabilité. Dans des localités comme l’Est, on assiste à des doubles chefferies et à des affrontements violents entre partisans de chefs rivaux. Dans ce contexte d’insécurité, c’est une crise de trop. Lors de son discours devant l’Assemblée Législative de Transition (ALT), le Premier ministre Albert Ouédraogo a promis un statut de la chefferie coutumière. C’est une annonce majeure. Encore faut-il que les principaux concernés y adhèrent. Car, récemment, les tentatives de légiférer sur ce statut se sont heurtées aux réticences des chefs eux-mêmes. Actuellement, c’est devenu une affaire de sécurité nationale, et la Transition doit y aller d’une main de fer dans un gant de velours.
Enfin, le foncier est un tabou entretenu par les régimes successifs depuis Blaise Compaoré. Chaque pouvoir a prétexté la sensibilité du sujet pour ne pas y toucher de plein doigt, tout en profitant des failles de la loi pour fabriquer de nouveaux riches. Ainsi naquirent la génération spontanée des promoteurs immobiliers milliardaires, sous le régime de Roch Kaboré. Il nous faut arrêter ce jeu dangereux. L’accaparement des terres cultivables, l’équation des zones non-loties, le passif foncier issu des lotissements de cafouillage, les conflits de frontières entres villages ou communes : tous ces problèmes doivent connaître un début de solutionnement réel avec la Transition.
En effet, le pouvoir actuel est une chance, en ce qu’il n’est pas englué dans des promesses électorales ou dans des enjeux de réélection. Il existe certainement d’autres questions taboues dont le non-traitement constitue une menace pour le Burkina Faso. Il appartient au gouvernement de transition de les résoudre sans complaisance, pour fixer les bases d’un Burkina réconcilié avec lui-même. C’est aussi et surtout cela, la refondation.
La Rédaction