[ EDITO ] Jurisprudence DEBY : le retour acté des coups d’Etat en Afrique

Après le coup d’Etat manqué de Gilbert DIENDERE contre les autorités de la Transition en 2015, nombre d’observateurs pensaient que l’ère des putschs en Afrique (surtout francophone) était révolue. Avant cela, l’Insurrection contre Blaise COMPAORE qui nourrissait le rêve d’un nouveau mandat illégitime, laissait espérer que plus jamais, un président africain ne modifierait facilement une constitution pour se maintenir au pouvoir. Erreur ! Le coup d’Etat tchadien, béni à demi-mot par la communauté dite internationale, signe le retour des putschs de 4ème génération.

C’était un sixième mandat de trop. Le maréchal Idriss DEBY, qui dirigeait le Tchad depuis 30 ans, a  semblé maîtriser les choses, et s’est fait élire par un score fleuve. Il n’avait pas eu le temps de fêter cette victoire sans péril, que justement, le péril de la rébellion l’a appelé au front. C’était la dernière mission de celui qui a l’habitude d’aller lui-même sur le terrain, et de mener ses hommes en véritable chef suprême des Armées. Ce sixième mandat, la France et la Communauté internationale ont feint de l’ignorer, comme elles l’ont fait pour d’autres.

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Après tout, la notion de bien et de mal se convertit en profit et perte dans la géopolitique. L’Occident ne se soucie pas de la marche de la démocratie dans un pays ; elle se soucie plutôt de ce qu’elle pourrait gagner ou perdre. Ainsi, elle ménagera une dictature qui l’arrange, et combattra sans état d’âme une démocratie qui ne l’avantage pas.

C’est ainsi qu’après la mort de DEBY père, DEBY fils, entouré d’un cercle de généraux, a pris les rênes du Tchad. Ce, à travers l’institution d’un Comité militaire de Transition, formalisée par une charte presque unilatérale.

A l’inhumation du Maréchal DEBY, les chefs d’Etats et de gouvernement présents, à commencer par Emmanuel MACRON de la France, ont adoubé DEBY Junior. La messe est dite ! Ainsi naquit la Jurisprudence DEBY, selon laquelle dans certaines conditions, la constitution peut être révisée pour permettre de prolonger le bail du président en fin de mandat. Et si malgré tout, les choses dégénèrent, un coup d’État de palais peut être organisé. L’essentiel étant de préserver la stabilité et, surtout, de garder en l’état les intérêts des uns à l’intérieur, et des autres à l’extérieur.

Il faut donc s’attendre, les mois et les années à venir, à ce qu’il y ait davantage de velléités de coups d’Etat, y compris de palais. Et quand la Communauté internationale voudra signaler son mécontentement, les juntes brandiront la Jurisprudence DEBY. Dura lex, sed lex ! Les futurs hommes forts argueront du fait que leurs pays risquent de subir le sort de la Libye, que le contexte sécuritaire rend leurs actes indispensables, …

Mais au fond, la question n’est pas de défendre à tout prix la démocratie sous la forme importée. La question de fond, c’est comment, après plus de 60 ans d’indépendance, l’Afrique pourra enfin trouver ses propres voies pour se gouverner, s’autoréguler, et progresser. Le gage de stabilité d’un pays africain ne doit plus venir d’une quelconque puissance.

Et si les institutions africaines, l’UA en premier, et celles sous régionales fonctionnaient correctement, nous devrions être en mesure de définir cette identité démocratique africaine

L’Afrique a tenté la démocratie, la dictature, les rebellions, les révolutions, les insurrections,… mais semble toujours à la traîne. Car ceux qui parviennent aux affaires par l’un ou l’autre de ces voies, finissent le plus souvent par confondre l’État à leurs clans, et à reproduire les mêmes tares qui les ont poussés à chercher le pouvoir. Un cercle vicieux, un serpent qui se mord la queue.

Le problème est donc ailleurs, au niveau de l’indépendance et de la solidité de nos États et de leurs institutions. Si les États africains travaillent à se solidifier par la force de leurs institutions, ils ne seront plus à la merci de lobbies internationaux qui instrumentalisent la guerre et le désordre pour les contrôler. Pourquoi les États-Unis ne peuvent-ils pas créer la guerre en Chine, et vice-versa ? Pourquoi la Russie ne peut-elle pas diviser la nation française et vice-versa ? Pourquoi l’Angleterre n’a t-il pas les moyens de renverser des présidents sud-africains et vice-versa ? C’est parce que ces pays ont des fondements solides qui résistent aux tremblements et à la chute des individus.

Dans la vie des États comme dans celle des individus, le respect se mérite et la liberté s’arrache.

La Rédaction