Dans la tribune qui suit, Maître Hermann Yaméogo se prononce sur l’avant-projet de loi portant statut de la chefferie traditionnelle et coutumière.
Le projet de loi portant statut de la chefferie coutumière et traditionnelle transmis par le Gouvernement à l’Assemblée Législative de Transition (ALT) est, dans le principe, à saluer. La chefferie était en effet la seule force sociale importante encore inorganisée au Burkina Faso, sans doute en raison de ses contrariétés propres, mais aussi des hésitations incessantes des pouvoirs publics à prendre des décisions structurelles qui ne vont pas manquer de façonner durablement la gouvernance du pays.
La chefferie est en effet impliquée dans la gouvernance de notre pays depuis longtemps. On peut même dire que c’est entre ses mains que le colon a pris le pouvoir, sans jamais, sinon très rarement le lui restituer à l’indépendance. Le choix de la voie législative de préférence au règlement, si elle n’est pas encore l’avenue constitutionnelle, est également à saluer en tant qu’il apporte plus de sécurité aux dispositions d’organisation de la chefferie.
Les propositions qui transparaissent de ce projet de loi auraient été moins faciles pour un gouvernement tirant sa légitimité des scrutins, auxquels la contribution des chefs est souvent déterminante. Mais la pugnacité avec laquelle le MPSR II se permet de trancher certaines questions sur le vif, sans épuiser tous les canaux de concertation, peut aussi avoir pour revers de faire voter des lois dont l’application court le risque de buter sur des écueils que des consultations élargies auraient évités.
Nous n’aurons pas le privilège de participer, dans un esprit d’inclusion, aux discussions précédant le vote de la loi à l’Assemblée Législative de Transition. Mais soucieux de contribuer, comme toujours, au débat républicain, nous nous permettons de poser un regard critique sur ce projet dont l’importance n’échappe à personne, pour lequel du reste nous sommes de ceux qui s’y sont engagés depuis des décennies. Nous en profitons pour relever que même si le temps passé par le Président Compaoré au pouvoir ne lui aura pas permis de corriger toutes les insuffisances de la chefferie et de conclure en apothéose par l’adoption de son statut, jamais un président n’aura autant œuvré à en rehausser jusqu’au stade de l’officialité, le rang et la réputation.
Ce texte d’organisation de la chefferie est une loi basique qui mérite en effet toute l’attention requise. L’Assemblée Législative de Transition procédera à son vote après les travaux de sa Commission des lois. Mais il n’est pas souhaitable que les parlementaires votent souvent des lois qui recèlent les germes de leurs relectures fréquentes.
Nous pensons à ce propos que ce projet aurait pu être mieux élaboré tant en la forme que dans le fond. Pour preuve, on ne devrait pas parler d’attributions de la chefferie, mais plutôt de missions que celle-ci doit réaliser en collaboration avec les pouvoirs publics. Et il y a bien d’autres insuffisances semblables. Par exemple en se basant sur les fructueuses leçons de vie de nos ancêtres basées sur le respect, la réconciliation et en tenant compte des relations conflictuelles et non encore désenvoutées qui ont souvent opposées les communautés coutumières et traditionnelles entre elles, comme les chefs et la République, le projet aurait gagné en priorité à être précédé par des visites de courtoisies dont en priorité au Morho Naaba. Cela aurait aidé, dès le départ à ne pas affliger le projet d’un préjugé de texte octroyé.
Sur le bien-fondé du projet, nous convenons avec le Gouvernement que ce n’est qu’en dépolitisant les légitimités coutumières qu’elles pourront effectivement travailler avec tout pouvoir politique et défendre des valeurs universelles et constructives. Tout le corps social y trouve son compte, dès lors que la neutralité des chefs est à double sens par rapport au pouvoir en place et à ses contradicteurs. La perspective serait d’autant plus sécurisante si en plus, le statut aménageait des dispositions qui proscrivent et pénalisent toute technique de subornation et d’inféodation administrative de la chefferie, donc de l’autorité gouvernementale à des fins politiques et électoralistes.
Reconnaissons aussi que les difficultés proviennent de cette sorte de volonté innée chez nombre de rois et de chefs traditionnels, d’être des acteurs contributifs à la paix et à la sécurité au plan national et international. Ils ont ainsi été au nombre de onze (11) à se retrouver en 1906 à Niamey, pour mener une réflexion commune sur les voies à trouver pour aider aux règlements de ces crises qui déchirent le continent. Parmi eux le roi des Zulu et celui des Mossi, le Mogho Naaba.
Reconnaissons aussi que les difficultés proviennent de cette sorte de volonté innée chez nombre de rois et de chefs traditionnels, d’être des acteurs contributifs à la paix et à la sécurité au plan national et international. Ils ont ainsi été au nombre de onze (11) à se retrouver en 1906 à Niamey, pour mener une réflexion commune sur les voies à trouver pour aider aux règlements de ces crises qui déchirent le continent. Parmi eux le roi des Zulu et celui des Mossi, le Mogho Naaba.
Beaucoup se voient, et c’est tant mieux, comme des arbitres et affichent parfois une certaine neutralité. Mais il s’agit là d’une position pas toujours crédible tellement l’incrustation de l’argent en politique a aussi gravement atteint ce milieu, finissant toujours par classer les rois et chefs dans l’escarcelle des gouvernements ou des partis au pouvoir.
Tout cela fait que dans beaucoup de pays Africains, les relations entre les chefs et le pouvoir ou les partis politiques ont toujours été d’un grand clair-obscur, contrairement à des pays comme l’Ouganda ou l’indépendance financière des rois et chefs est de nature à leur assurer plus de confiance. Certains en viennent à suggérer d’en ériger en gardiens et défenseurs des fondamentaux et de la démocratie.
Au Tchad, le statut de la chefferie reconnaît au chef traditionnel la défense des droits de l’homme. De même, dans un pays comme le Ghana, bien en avance par rapport à beaucoup de pays sur l’organisation de la chefferie dans l’Etat organisé, le gouvernement central a réalisé qu’il ne peut pas fonctionner sans les chefs traditionnels au niveau des collectivités locales. Corrélativement, ces chefs ont pris la responsabilité de moderniser la chefferie afin de répondre aux besoins de leur peuple en fonction de nouveaux problèmes de société, d’économie et de santé. De fait, les chefs et les reines-mères reconquièrent une bonne partie de leur autorité à titre de partenaires du développement avec le Gouvernement, les organisations non gouvernementales et d’autres organismes.
Tout dépend donc de la trajectoire de la chefferie dans chaque pays, de la volonté politique affichée des gouvernants de lui confier des missions à même de lui permettre de contribuer à l’œuvre de construction nationale sans calculs d’aliénations, mais aussi de la capacité des chefs à s’adapter aux nouveaux défis nationaux et internationaux en interconnexions croissantes.
Au Burkina Faso, tout comme au Ghana, s’il est indéniable que la chefferie est garante des valeurs socioculturelles, elle est aussi incontournable dans le développement local qui est la sphère d’activité des collectivités décentralisées. Nous ne devons pas en effet perdre de vue qu’aussi loin que l’on remonte dans le temps, la chefferie a toujours participé activement à la gestion des affaires publiques, d’abord dans les limites de son terroir, ensuite à l’échelle nationale. Avec l’organisation politique moderne, la décentralisation a occupé en partie sa place dans l’organisation sociale de base, tandis que les gouvernants se sont évertués à s’assurer l’accompagnement des chefs à tous les niveaux.
Aussi, de notre avis, si la volonté d’écarter la chefferie de la politique a été poursuivie avec acharnement dans certains pays comme le Bénin, chez nous l’objectif gagnerait à être mieux servi en réflexion approfondie pour ne pas conduire à des impasses. En effet s’il faut par exemple entourer de conditions strictes l’exercice d’activités politiques par les chefs qui souhaitent s’y investir, il faudrait par contre envisager avec plus d’ouverture les possibilités pour eux d’être des acteurs décisifs dans la lutte pour tout ce qui a trait à la cohésion sociale, à la réconciliation, à l’écologie, bref à la pérennisation des valeurs universelles. Entreprendre une telle édification par une loi singulière, sans recherches contradictoires nationales et sans la contribution de spécialistes reconnus, pourrait conduire à une impasse, parce qu’en dehors de toute passion, mais tenant compte des réalités historiques, sociologiques, sociales et économiques, le chef est en même temps un auxiliaire de l’administration centrale, un collaborateur des collectivités décentralisées, un acteur de développement et de cohésion.
Le maire peut-il administrer de façon souhaitable la commune sans l’accompagnement du chef ? Assurément, NON, Pas davantage le Président de Délégation Spéciale, parce que le chef est incontournable dans le développement local. Pour autant, et c’était le point de vue du premier président Maurice Yaméogo, il faut décourager toute propension à négliger et à affaiblir le caractère républicain de l’Etat en facilitant les conditions de la promotion de la culture monarchiste au détriment de celle républicaine. La chefferie n’est pas en effet une réalité vivante et homogène sur toute l’étendue du territoire national. Nos communautés ethnoculturelles ont été structurés avant même l’arrivée du colonisateur en « sociétés avec Etat » et en « Sociétés sans Etat ». Il importe d’en tenir compte.
Il faudrait dans le même temps prendre des dispositions pour absoudre et réhabiliter les chefs de leurs erreurs passées, souvent à envergures historiques.
Au regard des constats alentours, la loi portant statut de la chefferie devrait plutôt créer des passerelles de collaboration entre la chefferie et les collectivités territoriales, entre les autorités décentralisées et les chefs. Qui plus est, leur retrait abrupt de l’espace politique pourrait bien créer un vide dans la transmission de l’information et dans l’encadrement des populations, situation que des acteurs moins outillés chercheront à combler avec des risques dont on ne mesure pas encore l’ampleur. A titre d’exemple, la suppression de la chefferie au Sénégal en 1960 a occasionné la montée et l’omniprésence du pouvoir religieux dans toutes les sphères de la vie, et surtout politique.
Ensuite, le projet de loi en cours organise la chefferie de façon autarcique alors qu’à bien des égards, les compétences qu’il lui reconnait chevauchent celles exercées par d’autres institutions, notamment les collectivités, sans pour autant donner des clés de partage desdites compétences. On pourrait d’ores et déjà se poser la question de savoir comment les quelques décrets d’application prévus pourraient-ils disposer sur des aspects non prévus par la loi.
Il aurait donc été souhaitable d’arrimer l’organisation de ce pouvoir traditionnel à la décentralisation de façon expresse, parce que le chef reste incontournable dans le processus de développement de son milieu, de sa localité. La gouvernance locale, surtout dans les zones rurales, doit nécessairement intégrer la chefferie, parce que la coopération et la reconnaissance mutuelle des autorités décentralisées et des chefs est un facteur essentiel pour la mobilisation des ressources.
Les chefs devraient non seulement se voir confier des fonctions administratives à la base, mais aussi siéger dans les instances locales pour suivre certaines questions vitales pour leurs populations. Pour cela, les collectivités peuvent mettre en place de nouvelles instances de participation citoyenne incluant les chefs ou élargir celles déjà existantes pour leur faire de la place.
Pour toutes ces raisons et bien d’autres, nous pensons qu’en tant que composante sociale dans un État organisé, la chefferie doit être nécessairement organisée pour espérer survivre et jouer un rôle constructif dans l’État moderne. Mais en tant qu’organisation intemporelle, ce projet de loi ne nous paraît pas suffisamment élaboré pour combler ces multiples attentes.
Enfin, tout en réitérant nos félicitations pour le principe, nous rappelons que plus de réflexions partagées auraient permis de relever les passifs et interférences de certains chefs dans la sphère publique, toutes choses qui contribuent en partie au ressentiment de certains Burkinabè à l’égard de la chefferie. La concertation poussée aurait également permis de mettre l’accent sur les sollicitations nouvelles appelant à plus de contribution des communautés du même type pour aider au renforcement de la paix, de la cohésion sociale et de l’unité nationale, mais aussi pour lutter contre les dangers comme la désinformation, l’effacement de la vérité qui menacent au-delà de nos communautés, le monde entier.
Ouagadougou, le 20 février 2025
Me Hermann YAMÉOGO
Président de l’UNDD
Commentaires