[Tribune du journaliste Merneptah Noufou Zougmore] La chefferie coutumière a toujours été politique !

Dans la tribune ci-dessous, le journaliste Merneptah Noufou Zougmore apporte sa contribution aux réflexions sur le statut de la chefferie coutumière au Burkina Faso. En rappel, au conseil des ministres du 12 février 2025, le Gouvernement a adopté un avant-projet de loi sur la question, qui interdit notamment aux chefs coutumiers de faire la politique.

La chefferie traditionnelle et coutumière en pays moagha, par l’entregent du monarque de Ouagadougou, a été le premier à créer un parti politique en Haute-Volta dans les années 1940. La première organisation partisane s’appelait « l’Union pour la défense des intérêts de la Haute-Volta (UDIHV) ». Accusé de ne regrouper que de Mossé, il va se muer en « Union Voltaïque (UV) ». Un politique comme Nazi Boni y avait adhéré, mais pour des divergences liées au classement sur les listes électorales, il ne tardera pas à rendre le tablier.

Kougri le réformateur, peu avant l’indépendance, va participer au débat du changement de cap. Sur le maintien de l’Afrique occidentale Française (AOF), il donnera de la voix et sa position n’était pas différente de celle de la France. Patron du syndicat des chefs, ce Moogho-Naaba instruit, pendant la période de la discussion entre se maintenir dans le giron français à travers la Communauté Franco-Africaine ou s’affranchir en allant à l’indépendance, avait moins de 30 ans. Ouezzin Coulibaly, vice-président du Conseil, qui faisait office de chef d’Etat avant l’heure, personnalité charismatique, tant qu’il vivait, son leadership ne faisait pas l’objet de contestation. Il arrivait certains soirs qu’il se déplace pour présenter ses civilités au jeune Naaba de Ouagadougou.

Quand Ouezzin disparait, le jeu de la succession semblait ouvert. Celui qui s’affichera plus tard au grand jour avec son épouse à qui il attribuera le titre d’impératrice interpellera les acteurs politiques sans que personne ne daigne lui répondre. Le 17 octobre 1958, le Naaba Kougri organise son armée équipée de logistique de guerre archaïque fait de sabres, d’arcs… pour investir l’Assemblée territoriale, ancêtre de l’Assemblée Nationale. L’objectif était, semble-t-il, de faire signer des documents aux forceps aux parlementaires. Mais, par manque de stratégie, au lieu d’attendre qu’ils se réunissent avant de cerner l’hémicycle, is l’ont encerclé avant que les conseillers (c’était l’appellation des députés de l’époque) n’arrivent. L’action du jeune Moogho Naaba échoua, et le courroux du politique s’abattit sur lui et sur ses pairs.

Une batterie de mesures a été prise, allant de la demande de reconnaissance de la faute par écrit et rendu publique, à la suspension, voire la suppression de la chefferie traditionnelle. Celui qui était à la tête de cette action était le bien nommé Maurice Yaméogo, successeur de Ouezzin Coulibaly. A l’indépendance il deviendra président de la République. M. Maurice comme les humbles gens l’appelaient, en voulait à la chefferie traditionnelle moaga de Ouagadougou pour deux choses : d’abord, la tentative de kidnapping des conseillers de l’Assemblée territoriale. Ensuite, il accusait la chefferie d’avoir été l’assassin mystique de Philippe Zinda Kaboré, son mentor politique.

Après le soulèvement populaire de 1966, les nouvelles autorités, avec à leur tête Sangoulé Lamizana, réhabilite la chefferie en 1968, après avoir reçu longuement en audience le Moogho Naaba Kougri. Durant le règne de celui qui portera le grade de général de brigade en 1968, la chefferie n’avait jamais été inquiété. Certains chefs, pendant la période, avaient même occupé les fonctions ministérielles. Tinga Douamba, le nom à l’état civil du Widi Naaba, un des ministres du Moogho Naaba, avait été ministre de la santé. François Bouda, le Manga Naaba, avait, lui aussi, été ministre de la Défense sous le magistère de Lamizana.

A l’avènement des colonels au pouvoir, certains chefs qui avaient des casquettes politiques n’ont pas eu la vie facile. Casimir Tapsoba, le Goungha Naaba, député du Rassemblement démocratique Africain (RDA), a été alpagué. Il a connu la geôle des militaires du 25 novembre 1980 pour, après, être libéré par le Conseil de salut du peuple (CSP), le tombeur du Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN).

La Révolution va, elle aussi, entretenir des rapports conflictuels avec certains chefs et, surtout, avec les chefs qui étaient dans le jeu partisan. Pour illustrer, le Manga Naaba a été pris à partie lors d’un meeting à Manga par les structures populaires. Certains chefs, dont les révolutionnaires louaient l’exemplarité dans la conduite des actions publiques, n’avaient pas été inquiétés.

Après que les révolutionnaires se soient étripés et que l’aile révisionniste menée par Blaise Compaoré ait pris le dessus, ayant besoin de l’appui des piliers de la société Burkinabè, elle s’est rabattue à nouveau sur la chefferie traditionnelle qui avait une emprise sociale sur la population. Les chefs vont être présidents d’institutions. Dans le jeu partisan, au retour du multipartisme, certains vont devenir députés et chaque chapelle politique va compter ses têtes couronnées.

Durant le long règne de Blaise Compaoré, ces gardiens des traditions que d’aucuns sous la Révolution traitaient de force rétrograde, vont pendant les crises majeures, jouer le rôle de médiateur entre les protagonistes. C’est pendant le magistère Compaoré qu’on a entamé le débat de lui conférer un statut, mais l’impression qu’on eu à l’époque était qu’aucune partie prenante ne voulait de ce statut.

La dissidence du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Blaise Compaoré, claquera la porte avec ses chefs. Après sa victoire en novembre 2015, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), composé d’ex-camarades de Blaise Compaoré, vont avoir en leur sein un puissant chef traditionnel, ministre du Moogho Naaba. Ses contempteurs le qualifieront du « François Compaoré » du MPP parce qu’il était la courroie de transmission entre le monde des affaires et certains bonzes du parti. Il semble que certains opérateurs économiques buvaient du café le matin chez cette tête couronnée. Il va être le plus grand soutien de Bala Sakandé, alors président de l’Assemblée Nationale. Ce chef pouvait souvent amener le président Roch Marc Kaboré à faire un rétropédalage sur certaines décisions. Comme exemple, le président Kaboré a voulu, un moment, nommer Clément Sawadogo directeur de cabinet à la présidence du Faso en remplacement de Seydou Zagré, mais ce Naaba et Bala Sakandé ont opposé un niet catégorique et le chef de l’Etat est revenu sur sa décision.

Le gouvernement a adopté le 12 février dernier un projet de loi portant statut de la chefferie coutumière et traditionnelle. Il est spécifié dans le projet que les chefs ne doivent pas faire la politique. Il est en outre mentionné qu’ils ne seront pas rémunérés. Pour le trajet qu’ils ont fait en politique avec les implications financières qu’il y a eu, nos chefs qui ont goûté à ces avantages politiques pourront-ils survivre à d’éventuelles disettes ? Pour cette problématique et pour bien d’autres, il est nécessaire que le débat se poursuive pour cerner tous les contours du sujet, avant que le processus n’échoie à l’Assemblée législative de la transition (ALT).

Merneptah Noufou Zougmore