Ceci est une tribune de Mamadou Diallo intitulée “Nous devons et pouvons venir à bout de l’hydre terroriste !”
Devant la tragédie de Barsalogho, bien naturellement, il nous faut tous faire preuve de compassion; car, c’est le premier devoir sacré d’humanité et d’humanisme pour nos morts et les familles endeuillées. Souvenons-nous ! une société et une gouvernance qui manquent de compassion sont le signe d’une descente vers l’innommable et nous en sommes tous chaque jour témoins : enlisement dans la guerre, tueries de masse, banalisation de la mort, cannibalisme et j’en passe !
Il est donc heureux de constater que, même à très petit pas – mais aussi il faut espérer sûrement – cela est en train de changer car cela n’a pas toujours été le cas; on se rappelle Nouna, Karma, Zaongo, Sorro, et toutes ces tueries de masse depuis, qui nous ont tous laissé de marbre comme on dit. Pourquoi ? Chacun de nous en son for intérieur sait pourquoi !
Ainsi, suite à la tragédie de Barsalogho, le Front patriotique à travers sa déclaration (https://lefaso.net/spip.php?article132664) pose assurément de bonnes questions, fait une analyse de la stratégie politique et militaire conduite sous impulsion du MPSR 2 et dont la quintessence se laisse apprécier à travers ce drame.
Il n’y pas de doute, après plus de 8 ans de mise en œuvre de stratégies contre-terroriste, l’insurrection armée djihadiste ne faiblit pas; elle s’est même enhardie !
C’est pourquoi, pour ma part, je suis resté sur ma faim comme on dit, quant aux perspectives politiques et militaires suggérées par le Front patriotique pour venir à bout de l’hydre terroriste. Il me semble que les suggestions d’inflexion faites au MPSR 2 de sa stratégie politique et militaire, ne sauraient suffire dans l’état actuel de la situation et des problématiques sous-jacentes.
Le MPSR 2 a sans doute fait de son mieux et il n’y pas de raison d’en douter, car c’est une question existentielle pour lui; et toute sa gouvernance ne dit pas le contraire.
Il nous faut donc envisager les choses autrement.
Il nous faut avant tout, construire une stratégie politique et militaire loin de l’émotion sans doute, mais surtout ancrée sur les fondements de la crise structurelle de l’État et du vivre-ensemble dans notre pays.
À cet égard, une question des plus cruciales s’il en est, ne peut continuer à être éludée ; celle que j’avais posé à tous ceux qui veulent réfléchir sereinement à ce qui nous arrive, et qui était inimaginable il y a seulement 10 ans. Pourquoi dans notre pays, les membres de la communauté peulh forment-ils le gros des troupes combattantes djihadistes et animent-il des Katiba ? Les enregistrements audio et vidéo des groupes armés djihadistes relayés abondamment par les réseaux sociaux ne disent pas autre chose.
Alors il faut nous affronter sans tabou la question de savoir comment il s’est fait que des villageois, en l’occurrence de culture pastorale peulh, soient entraînés aussi massivement et de manière aussi déterminée, dans une insurrection armée djihadiste à savoir la remise en cause d’un État.
Pour ma part, j’ai identifié la raison principale dans la crise du pastoralisme dont la solution ne peut être sectorielle mais structurelle.
Qu’est-à-ce à dire ?
Dans leur dynamique anthropologique et sociale, pour les pasteurs du Burkina principalement constitués par les communautés peulh et touareg, l’accès aux ressources agropastorales est un facteur fondamental du système d’élevage et donc de viabilité de l’exploitation familiale. Le partage et la gestion de ces ressources avec les communautés d’agriculteurs sédentaires ont toujours nécessité une régulation dont les termes ont été pacifiques ou violents dans la période pré-coloniale.
De même, en ce qui concerne les communautés d’agriculteurs sédentaires, les besoins de bétail liés aux rituels sacrificiels, à la fumure des champs, à l’accumulation et consommations ostentatoires de richesses par les aristocraties et autres élites, ont rendu nécessaire une certaine proximité avec les communautés de pasteurs reconnues comme des professionnels de l’élevage.
L’insertion des communautés peulh dans le Moogo, dans des sociétés villageoises Bobo, Bwa, Sénoufo a bien souvent été organisée de manière pacifique en favorisant l’immigration de lignages peulh ou/et de manière violente par la mise en captivité (Bangarencé des Rois du Moogo).
Avant la conquête coloniale et la colonisation, alors que les relations étaient tendues avec la communauté samo dans le souroudougou avec l’empire du Macina sous domination toucouleur, elles étaient dans l’ensemble stabilisées et pacifiques avec les chefferies peulh de Barani et de Dokui et bien naturellement dans les terroirs d’insertion en pays bobo, bwa, sénoufo, komono, dogossié et dans le Moogo. Dans ces derniers cas, ces relations ont même donné lieu à la mise en place de systèmes d’alliances politiques (allégeances et protection), coutumières (parenté à plaisanteries) et rituelles (rôle dans certaines intronisations de rois et chefs), et voire matrimoniales bien plus rares ; ces alliances diverses ont été bien souvent convoquées dans la gestion des conflits qui ne manquent pas entre agriculteurs et éleveurs.
La colonisation dans la Boucle de la Volta, va accentuer les tensions passées avec la communauté samo et dégrader les relations avec la communauté bwa, avec la participation des chefs de Barani et de Dokui et l’empire du Macina sous domination toucouleur à la conquête, la pacification et la colonisation aux côtes de la puissance coloniale.
Les exactions passées d’aristocraties peulh dans les périodes précoloniale et coloniale (esclavage, paiement de tributs, appui militaire aux missions coloniales de conquête, administration décriée de cantons et « états » crées sous la colonisation) ont alimenté naturellement un certain imaginaire collectif négatif à l’égard de la communauté peulh, dans nombre de communautés plus anciennement installées sur le territoire de l’actuel Burkina Faso. Le contrecoup fut globalement une insertion difficile de la communauté peulh dans l’Etat-Nation post-colonial.
Avec l’indépendance, s’ouvre une nouvelle dynamique pastorale.
Alors qu’à l’époque précoloniale, les communautés de pasteurs disposaient de marges de manœuvres symboliques, politiques et sociales endogènes pour poursuivre leur dynamique anthropologique et sociale dans les territoires dits des peuples voltaïques ; ces marges de manœuvres vont se réduire progressivement avant de disparaître pour l’essentiel aujourd’hui ; marquant ainsi, l’engagement de la communauté des pasteurs dans la crise du mode de vie pastorale, qui s’avère la plus grave à laquelle elles doivent faire face depuis le XVIIIe siècle dans leur dynamique anthropologique et sociale.
Cette nouvelle crise du pastoralisme prend racine pour l’essentiel dans les difficultés croissantes d’accès aux ressources agropastorales du fait de la dynamique démographique en milieu rural qui réduit les espaces de pâture et l’accès aux points d’eau ; des sécheresses des années 1970-80 au Sahel qui ont décimé le cheptel ; des politiques publiques foncière, agricole, d’élevage, minière, forestière, administrative de l’État post-colonial, prolongeant et approfondissant les menaces et obstacles pour les communautés agraires et pastorales – prédation foncière par les élites, expropriation pour cause d’utilité publique, émergence d’un marché foncier, intensification, sédentarisation – et battant en brèches les équilibres endogènes construits naguère.
Cette crise se traduit par une quasi-impossibilité de poursuivre le mode de vie pastoral et par des difficultés de diversification ou/et de reconversion professionnelle.
Dans le même temps, la diversification des exploitations familiales agricoles avec la pratique de l’élevage s’est mise en marche réduisant d’autant, l’accès aux ressources agropastorales. Elle s’accompagne d’une concentration du cheptel aux mains d’une petite élite paysanne sédentaire, commerçante, et pastorale qui emploient des membres de la communauté nomade paupérisés, comme bouviers, courtiers des marchés à bétail, Ruga -ces spécialistes de la transhumance.
Ainsi, se développe très massivement au sein des communautés de pasteurs, des exploitations familiales sans cheptel et sans terre. Leurs membres sont ainsi livrés à une vie errante en milieu rural, voués à l’exode en milieu urbain pour grossir les rangs des talibés de marabouts, les rangs des sans-emplois et du sous-prolétariat. L’engagement de bon nombre d’entre eux notamment des jeunes dans l’économie criminelle et illicite (vol de bétail, trafics en tout genre) et une vie dissolue (drogue, alcool, vol, prostitution, etc..) est une réalité.
A ce versant de la crise du pastoralisme, il faut ajouter celui liée à la crise de la structure sociale dans les anciens émirats et chefferies peulh ainsi que dans les terroirs de nomadisation et de suzerainetés touareg. Les aristocraties traditionnelles, les élites musulmanes et commerçantes y sont les propriétaires des ressources agropastorales et de gros cheptels, qui sont exploitées pour leur compte par des dépendants qui sont des communautés d’anciens captifs (Rimaïbè et Bellah) bien souvent en contrepartie d’un accès à la terre et au cheptel. Si cette hiérarchie sociale y compris la déconsidération sociale héréditaire qui l’accompagne, est intériorisée par l’ancienne génération, elle est fortement rejetée par la nouvelle génération dont certains des membres font partie de l’élite intellectuelle, politique et économique ; autant celle issue de l’école laïque que celle dite des arabisants formés dans les medersa et universités arabes dont certains rejettent ouvertement les élites musulmanes traditionnelles soufie.
Au total, la crise du pastoralisme est une crise du mode de vie pastorale, une crise de la culture politique et de l’économie politique des élites traditionnelles dans le contexte de l’Etat-Nation post-colonial dont elle en alimente la dynamique de faillite au travers de l’embrasement du milieu rural que vit aujourd’hui le Burkina.
Bien plus, l’embrasement du milieu rural pourrait aussi prochainement s’alimenter d’une crise profonde du mode vie des paysans sédentaires qui, après avoir accueilli et intégré des millions de migrants climatiques internes du plateau central Mossi et du Sahel depuis les sécheresses des années 70-80, sont à présent de plus en plus confrontés au problème de la terre.
La perspective de familles d’agriculteurs sans terre ou ayant insuffisamment de terre est en marche ; elle alimente de plus en plus des tensions entre autochtones ayant cédé à titre d’usufruit des terres, et migrants ayant reçu en usufruit des terres qui sont souvent réclamées par les propriétaires qui en ont besoin à présent pour leur propre survie.
Autrement dit, la crise du pastoralisme n’est que la partie visible de l’iceberg de la guerre à venir de la terre en milieu rural et face à laquelle l’Etat-Nation post-colonial est impuissant comme le montrent la situation du foncier en milieu urbain et plus globalement, ses politiques foncières, minières et forestières d’essence néolibérale.
C’est cette crise du pastoralisme que les leaders djihadistes terroristes ont utilisé comme porte d’entrée et instrumentalisé comme cela a été le cas avec le djihad du XIXe siècle.
L’axe d’effort d’une stratégie politique et militaire efficace à mettre route c’est précisément de faire en sorte que les combattants villageois djihadistes qui forment le gros des troupes des groupes armés djihadistes, se désolidarisent des leaders salafistes djihadistes terroristes et ce faisant, facilite leur éradication. Cela est possible non par un discours théologique anti-salafiste, des exhortations à déposer les armes et la seule action militaire, mais par une offre de dialogue crédible et sincère sur les problématiques qui ont fait qu’une communauté en l’occurrence de culture pastorale soit le vivier principal de recrutement de combattants par les leaders djihadistes terroristes.
Une approche possible de stratégie opérationnelle est étayée dans l’Essai « Dans la dynamique de la refondation du vivre-ensemble et de l’État au Burkina Faso ».
Sa substance est reprise dans le lien : « Appel pour une nouvelle initiative politique au Burkina Faso».
Oui la paix est possible dans notre pays et il ne tient qu’à chacun de nous de lui ouvrir une voie hors des sentiers battus.
Bon courage à nous !
DIALLO Mamadou.
74 50 18 59.